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Les miettes des idées
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Les miettes des idées
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30 mars 2016

quelques mensonges consolants

    A notre surprise, Claire n'a pas pleuré quand on l'a laissée dans la nouvelle école le premier jour. Elle comprennait à peine l'anglais et restait la seule Chinoise dans toute l'école. Les maîtresses sont très gentilles et les autres petits semblent aussi peu aggressifs. Malgré nos soucis, nous avons insisté qu'elle aille à l'école tous les jours. «Il le fallait.» me disais-je. « A son âge, tout s'apprend vite.» Les autres nous consolaient.

   J'avais en fait beaucoup à craindre, car l'école ici fonctionne d'une manière totalement différente de celle en Chine. Claire avait adopté l'habitude d'être sage en classe : rester immobile, avec les mains sur les genoux, écouter les maîtresses en gardant le silence. D'ailleurs, il y a des heures fixes pour les activités, y compris les toilettes. On faisait la queue pour faire pipi et c'était interdit d'y aller lorsque les maîtresses étaient en traîn de donner des cours. A midi, ils mangeaient les mêmes choses et quelques fois, étaient forcés de tout manger. Ici, on distingue beaucoup trop de liberté : les enfants font presque ce qu'ils veulent. Ils peuvent jouer seuls ou ensemble, prendre le goûter ou ne pas prendre, aller aux toilettes à n'importe quelle heure et sortir jouer sans prendre de manteau. Il n'y a pas de séances spécifiques dans l'après-midi et on joue dehors.

   Les premières semaines, Claire restait silencieuse, ce qui était normal vue qu'elle ne parlait pas l'anglais. Elle était aussi ennuyeuse, car elle se trouvait souvent seule, en plen air, ne sachant rien faire. D'ailleurs, elle attendait qu'il y ait une permission professée pour aller aux toilettes. Comme il n'y en a pas, elle préférait ne pas boire. Elle ne savait pas jouer avec les autres et quelques interprétait la gentillesse des autres comme des actes agressifs. «Je n'ai pas pleuré aujourd'hui», c'était les mots qu'elle a prononcé quand nous l'avons recherchée dans l'après-midi. Elle savait ce qui nous plaisait et espérait gagner nos éloges. En même temps, elle nous priait de la chercher plus tôt, même avant le déjeuner. 

    Mais quelques fois, je n'ai pas cru à ce qu'elle racontait. «As-tu pris le goûter ce matin?» c'est la question la plus posée après l'école. On sait qu'elle n'aime pas du tout le goûter américain, composé souvent par les légumes froids, le fromage et le lait froid. Elle n'avait jamais accepté ce genre de chose à la maison. La différence cuilinaire est notre premier soucis. Chaque matin, à la porte, je lui demandais d'essayer de goûter des choses. Comme les maîtresses respectent le choix des enfants, elle peut ne rien prendre au goûter et attendre jusqu'à midi. Le soir, les interrogations à ce sujet lui mettait souvent mal à l'aise. Si elle répondait par "non", je répétérais sérieusement, quelquefois sévèrement l'ordre: il faut manger pour ne pas être malade ! Alors, intelligente, elle a trouvé des réponses comme celles ci. «Ah, oui, j'ai pris du lait, deux verres», ou bien « oui, mais pas beaucoup, j'ai oublié».

    Un  jour, son père est rentré avec joie, ayant croisé une maman chinoise. On a donc imaginé qu'il y avait un ou une autre enfant chinois qui vient de s'inscrire. D'après le père, l'enfant avait presuqe le même âge que Claire. Les jours suivants, Claire nous a confirmé cette nouvelle: une nouvelle est arrivé dans sa classe et elle a un joli nom, une mère chinoise, un père mexicain et parle aussi bien chinois qu'anglais. Ca a été un grand soulagement pour moi et son père. Enfin, à nos yeux, Claire a pu avoir quelqu'un à parler, qui devrait être sa première bonne amie à l'école.

    Depuis, la conversation a changé de sujet après l'école. Nous n'étions plus curieux de connaître ses activités mais posions plutôt des questions autour de cette amie. « Est-elle venue ajourd'hui? De quoi avez-vous parlé ensemble? Qu'est-ce qu'elle a porté comme déjeuner?» Quelques fois, Claire a même initié la conversation autour de cette Yiha (étrange nom).

    C'est trois semaines plus tard qu'on a découvert la réalité. C'était d'abord dans une fête où les parents étaient convoqués pour admirer les créations artistiques des enfants et aussi leurs spectacles. Nous étions étonnés de ne pas rencontrer cette famille mixe. «Elle était peut-être malade», nous a expliqué Claire. Quelques jours plus tard, je suis allée aider les maîtresses à l 'école pour une autre fête et suis restée même jusqu'à l'heure de déjeuner. Curieuse de l'absence continuelle de Yiha, j'ai interrogé les maîtresses pour connaître mieux cette enfant. A ma question, le visage de Claire est devenu pâle et elle s'est arrêtée de manger et a choisi de quitter la table pour jouer. Les deux maîtresses m'ont confirmé qu'il n'y avait pas de nouveaux enfants dans la classe. Une d'entre elle, pour ne pas dire la bêtise, est même allée se renseigner dans d'autres classes, car souvent dans l'après-midi, les enfants se mélangent pour jouer dehors et qu'il était possible de connaître des camarades d'autres classes.

   Avant avoir eu la réponse définitive, je savais déjà que Claire avait menti. C'est elle qui avait inventé toute cette histoire. Mais quel art! Combien précise et vraissemblable est l'histoire ! J'ai soudain perdu la tête. Comment puis-je réagir? Le mensonge est toujours considéré comme un vrai vice dans notre famille et ma fille, quelle menteuse adroite. Presque en même temps, la maîtresse qui avait pris la peine de se renseigner ailleurs a compris la situation. «Let it go!» m'a dit-elle simplement.

   Quand même, nous en avons reparlé à la maison. Claire était nerveuse, sachant qu'elle ne pouvait plus mentir. «Comment faire? J'ai menti!» se disait-elle. Le mot était tellement vicieux qu'elle avait peur de s'y croire. Son père était en colère et se demandait si notre fille avait des problèmes psychologiques. Aucun de nous deux avait eu l'espérience pour traîter ce genre de problèmes. Cependant, je me suis rappelé la réaction des maîtresses. Plus d'évocation, plus de discussion. L'enfant, c'est l'enfant. Il faut attendre qu'ils digèrent cette histoire et ne pas exagérer les effets.

    Un soir, Claire a rappllé ses mensonges et avec des larmes aux yeux, elle m'a demandé le pardon.

   -Pourquoi?

   -C'est parce que je voudrais avoir une amie à moi.

   C'est moi qui risquais à pleurer cette fois. J'aurais pu imaginer ce grand besoin d'auto consolation. Elle a dû souffrir.

   -Tu peux et à très bientôt.

   Je l'ai embrassée. C'est vrai que les petits enfants apprennent vite. Mais on a du mal à imaginer combien la solitude et l'étrangeté puissent être affreux pour ces petites têtes et combien il faut être hyper courageux de se diriger vers la nouvelle porte où s'ouvrent toutes les tentations et les inquiétudes inconnues.

  

   

   

 

   

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Commentaires
M
C'est vrai. Les enfants, à un certain âge, ne distinguent pas la réalité et la fiction. Mais quand même, on l'encourage de faire des vrais amis au lieu de vivre dans son imaginaire.
A
ce monde qu'elle découvre est si différent qu'il me semble normal qu'elle se réfugie dans la fiction... surtout si cette fiction vous faisait tellement plaisir :-)
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