Quand le loisir est devenu la profession

Chaque matin et chaque soir, on est dérangés par le chant d'un monsieur de ménage dans notre cité. Peu discret, il ramasse les feuilles mortes ou tire les poubelles en chantant très haut. Les gens qui passent ricannent avec curiosité, puis avec mépris ou admiration. En général, on chante avec plus d'aise dans un karaoké ou dans un parc public. Son acte est ainsi considéré comme bizarre. Or, la plupart des locataires comprennent sa joie et son chant a déjà constitué pour certains le réveil musical du matin.

Ma belle mère regrette que ce monsieur n'aille pas participer au concours de talent. Ce genre d'émisions de divertissement télévisée est très en vogue en ce moment et presque toutes les grandes chaînes ont leur propre concours afin de trouver les talents de "racine d'herbe", des simples citoyens qui ont une belle voix ou d'autres capacités concernant le divertissement. Imitant BGT, la Chine devrait asussi découvrir ses nombreux talents cachés dans la vaste campagne ! Tentés par des grandioses propagandes et la possibilité d'un avenir brillant sur "tous" les plans, beaucoup de gens s'inscrivent au consours et veulent démontrer leur talent sur la scène. "Un pauvre paysan a eu le premier prix dans notre province et il a changé sa vie en une nuit !" répète ma belle mère, qui est déjà une de ses supporteurs.  

Or, pour des milliers et des milliers de candidats, il n'y a qu'un premier prix. Pour ce permier prix, il faut que le gagnant soit de préférence très pauvre, ordinaire, d'une apparence sans mérite et qui ait une histoire touchante concernant par exemple sa passion ou sa morale. Alors, l'émission veut affirmer que la réalisation d'un rêve n'est jamais impossible et que les grandes portes sont toujours ouvertes à n'importe qui ! Sous les flashs des projecteurs, le gagnant montre son sourir naïf, en déclarant que "depuis tout petit, je rêve de chanter dans un grand théâtre à Pékin etc, etc". Il est très ému et le jury aussi et tous les spectateurs aussi.

"Continue-t-il à cultiver son champs ?" Je demande à ma belle mère.

"Plus nécessaire, il vit en chantant, ça suffit!"

"Et pour combien de temps?"

"..., au moins, il a gagné de l'argent et seul avec des intérets à la banque, il vit bien !"

Et ce monsieur de ménage dans notre cité, il vit bien aussi. Je ne sais pas s'il tente aussi de se faire paraître sur la scène, mais au moins, aujourd'hui, il est joyeux, même ayant un travail dur et monotone. "Changer la vie" est le droit de tous, mais quelques fois c'est aussi une tentation pernicieuse.